Des pas sur Moà-Neige


Andreï Tarkovski, Polaroïd, 1979

sa marche dans le visage insolent,
elle sait la visite du corps absent.

sur l’éclat de la rive, sa vivante,
l’oiseau dans le nid musculeux,
le désir dans la tanière soustraite au lait,

elle attend l’ouverture des douves.

*

la parole des corps chevauche la soudure des eaux séparées :

l’enchantement de la plaine contre le rapace dans l’homme,
sa rougeur,

le scribe des nuances du ciel sur la bête vivante et libre,
l’arbre dans l’enfant de la terre tourmentée par l’ogre ;

toi _ l’habitant de l’écluse,
l’ivrogne des déserts avancés,
je t’entends,

les pas de ton échine rieuse :
une flûte faite de ton os,
le chant de ton rut démuni.

*

seule _ avant les musiciens, elle se lève,
livrée à la retraite des bras-pieuvres,

son corps _
le consentement lisse de sa solitude,

elle se lève avant la nausée blanche du jour,
seule _ sans rêves au pied du totem.

la rivière d’elle, de l’ombre
la clairière _ et du désert,

sur la route du vitrier, elle se couche enfin,
défenestre la proue _ sa carne,
pour glaner un reste de lumière,
dans le lit casqué en elle de la bête.

*

les nœuds de sa main d’infante sur l’avenir des crues,
l’érection des pistils par sa voix, par sa dérive,

on entrevoit sa tête végétale et on entend son rire de folle.

l’abandon en elle, couvre-feu.

à Lol. v. Stein

*

écoute l’eau _ la pluie-Schönberg,

les doigts des nues
désignant ton être solifuge
_ habité,
avec la découpe du visage même.

*

il est
le premier homme
sur le chemin de terre simple
sur tout le corps somnolent,

de la brume sa ruche
sa naissance des yeux,
marchant dans _ à tâtons, le pli des choses,

de son rire des mains
de sa langue d’enfant
il est le premier homme,

il est le premier homme
qui se dresse devant les ciseaux de la lumière.

*

à la rive du grand lit déserté dans la clôture,
il se dresse devant la jointure du corps à peine apparu,
hélé par l’inachèvement bavard des lunes.

il y a une si grande main sur la fenêtre ouverte,
ombre de l’enclos des premiers pas
_ ajournement du corps qui se lève,

elle soulève sa jupe entière devant le jeu opaque du vent.

*

il a le corps couché sur le jour à peine et il dort dans son corps,
il a le corps du songe du samouraï qui courbe le vol déserteur,
il a le corps couché et il dort dans son corps _ là il rêve tout haut,
ouvrant les jambes de l’aube où dans l’antre les bêtes dorment.

il a le corps couché sur le chant des merles vaniteux avec les
[mésanges ouvrageuses,
il a le corps couché, il dort,
il a le corps fatigué de l’homme qui se lève dans la parole des
[hommes muets,
il a le corps couché sur la rive de l’indien tué par le singe,
et il dort dans sa mémoire, dans son odeur blanche.

*

il s’ouvre une partie noire du ciel
tandis qu’effondrée la pierre dans le désert des chiens

respire encore.

bien loin de la terre rouge,
elle flotte au champ de colza
avec une main ballante dans le vent

elle respire encore
et passe la porte du bois.

bien loin,
l’empreinte des doigts sur la roche
prie bleu pour le vestige des rivières,

et sur la couverture du gel,
respire encore
le loup qui pardonne à l’homme buvant à même la neige.

*

congédie l’attente des pas promis vers le col,

sois seule,
totalement seule,

délie tous tes bras
et nage dans la densité brute des sous-bois :

l’ombre sur l’herbe recule lentement,
et quitte le jardin.

Poèmes, 2022 – publiés chez les éditions Artmen