Être témoin de l’aube

d’insom – nuits :

           contre – chants

la joue collée à la rive
le bout des doigts dans la rivière






battement du sang sous la peau
chaque mot sorti de ma nuit
un phare où ?            bec dans l’eau
mais si ! un grand phare,
une danse de voiles en torsades non transcrites

où ? mais là ! là ! regarde !






cri d’oiseau.
nuit et nuit,

la nuit,
toujours la nuit,
là sur le végétal
là sur les plumes lisse dans le végétal recouvert —

cri d’oiseau, (vœu piaffant),
merle, que l’insomnie.






dedans Solidad,
ville chaussée pattes d’araignée
si grande ville bien chaussée,

le vernis à ongles de la mygale

au tre silence en moi :
mer d’huile —

pas le silence
que je connais
que j’attends
que je nomme —
cet Autre silence.






un tout petit oiseau —
pépiement saccadé
très aigu
triolet (faussement) inégal
très resserré
(je ne suis pas un oiseau)

quel est cet oiseau ?
voudrais voir son petit corps
ses cordes vocales

il reste invisible
dans sa propre nuit;
ou est-ce moi
aliénée dans ma nuit
qui ne voit rien ?






mais je reconnais
autre cri d’oiseau
autre saccade
autre cascade :
grave ricanement
guttural : la pie
— puis moineau — en meute lointaine.

lente montée des ombres :
la jupe soulevée de novembre —

des voix humaines
ouvrent de force les draps
marchent sur mon lit.






— les pas de la mygale sur mes pas possibles —

aboiement d’un chien ;
ces pas sont pressés
vers où ?

(les pas de la mygale tissent, ne vont nullepart)

comment sortir de mes draps
comment naître d’ici ?

Demoiselle, face arachnoïde,
pourquoi ne chantes-tu pas dans ma dentelle ?

maintenant triade du merle






Re-clôture des yeux
encore un peu Oh ! oui… (tonalité-prière)






(pau-pierre).






peur du noir
comme celle des enfances
de toutes les enfances —

mon enfance
(avec elle) échographie du ciel,
toujours avoir les yeux émerveillés






le silence de l’Autre
avec le ciment,
l’impartageable —

quel silence ?
quel mourir alentours
avenir avec les oiseaux.






comment ne rien attendre de l’autre ?






la nuit ma carne






je voudrais moi aussi,
m’avancer sur les terres d’ocre —
voir le vol des grues cendrées,
voir le vol migrateur,

être témoin de cela,
d’un miracle.

pulsation
en une,
rot vers l’Autre,
le sexe devenu une erreur de la main.

le ciel : grand nu.

Écoute l’heure bleue
et l’aube clocharde du corps —






passer par la gare de trillage
il faudra trier dans ta décharge
les signes qui disent du sens
de ceux qui mentent au silence.





          un bouquet de coquelicots tombent des mains; un caferd passe sous le lit — chant acharné des merles qui croient au jour qui vient, et qui revient toujours ;

/ le jour-Sisyphe /






Être témoin de l’aube
          (teintes d’un Turner)






ce jour
ce jour
ce jour
ce jour
ce jour                      — ce jouir






nue animale
non dépistée






une cabane dans les arbres
construites par des enfants rêveurs,
désertée de l’enfance, pourtant.






dans le linceul du ciel
la matière sans sommeil —

bruits du monde :
comme une langue incompréhensible

à mon corps

/ les yeux vitrés de la ville.






Et s’il neigeait sur moi ?
mon corps — jardin en neige ;
si chaude en l’intérieur des os
que je ne sentirais pas la glace —

Et s’il neigeait sur moi,
deviendrais-je à mon tour un paysage ?






dans mes placards :
iridescences bavardes et fluides,

une meute d’algues et de voix —

l’intérieur de la sirène,
densité d’un marécage.






— faire naître mes paysages,
                     mes paysages en jachère —






lumières des nappes sous le couvercle des voiles ;
— les mains gantées de la nuit —

une luciole se cogne contre la roche.

grognements des lacs sombres du corps —






anorexie du papillon royal
brûlé dans la lumière —






le petit chemein de sable
qui menait l’enfance à la mer.






le congé du corps par le vide des bras.






mais là-bas, quelque part,
continuité des rives,
la langue du ruisseau ;
avec le balbutiement du geste,
sa vraie nudité.






os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os os
os os os os
os






Ô ! je me retire, avec ton nom par moi Amour

(pré-aube)






— la pensée a filé ses bas.

À ma mère

elle cherchait son nom
son lait
sa sœur
son regard à l’amont
son livre caché
son pré
sa taupe voyante
sa source

elle cherchait sa frange dans la roseraie.






elle cherchait son terrier ouvert sur l’étoile

son rêve d’enfant
son feutre
sa parole fée
sa vague
sa fenêtre du corps

elle cherchait sa cabane dans les arbres
et regardait le chien seul dans la prairie.






elle cherchait sa patience dans un brin d’herbe
elle cherchait sa chanson
son odeur
ses graines
son crime
son osier
son cerf-volant

et plonger tout son visage
dans un nid de mimosas
— la flottaison de la nuit.

Poème, 2019 – Image : dessin Solitude, 2019

Poème

Il lui dit : « Tu t’éclaires ! »,
l’arpenteur des sols des bêtes libres,
avec l’intelligence des sources.

Il lui dit : « Tu t’éclaires ! ».

Juliette Fontaine, poèmes, 2003

I could lie down like a tired child

I could lie down like a tired child

nidifier à terre, passer ma vie entre le sol et les tranchées du vent, ne jamais me percher sur le bras ondulé d’un arbre ou la coupure d’une tuile, voler en chantant et dessiner des cercles au-dessus des maisons sourdes ou muettes, et à une certaine couture de ciel, me laisser tomber comme une pierre… copier l’être alouette ;

et la traque du Fou au-dessus de l’océan.

Je pourrais m’étendre comme un enfant fatigué

Juliette Fontaine, poème, 2005

La Lumière est inconstante

La lumière est inconstante et l’atrabile du ciel se répand.

La nudité est assourdissante. Dans la rumeur blanche la plaie de l’arbre rompu cicatrise avec la salive du chien errant.

Sous la tonsure brûlée du ciel, les animaux rêvent-ils à la perte ?

La peur creuse ses galeries au bord d’un trou d’eau, avec l’animal inquiet tapi dans le corps.

Elle rêvasse au fond du lit les yeux mi-clos. Murmure ou chantonne. De la lumière d’hiver coule dans le couloir . Une petite ritournelle contre cette peur archaïque du loup dans l’homme. Elle ouvre les draps dans un grand geste.

Elle pense qu’elle va mourir un jour. Qu’il faut repousser la nuit profonde. Il pleut dehors ? Elle semble entendre le léger grésillement humide qui tombe sur le jardin, sur les arbres, sur l’herbe, sur les pierres, sur ses parties repliées. Dans la sueur du jardin.

Cette nuit, elle a rêvé que des chauves souris cherchaient la matière de ses cheveux. Aussi de l’embuscade du Fou au-dessus de l’océan. De la tiranie du coucou.

Elle se lève avec les yeux matinaux du crapeau et la bouche pleine du tapis de sa langue. Elle s’avance vers la chasuble entrouverte de la fenêtre, regarde dehors le jardin, rive son regard vers le haut : la bouche bée du ciel.

Il ne pleut peut-être pas dans le jardin silencieux. Rien n’est une certitude.
Elle a soudainement une crainte irrépressible. Et si un jour : des fusillades déferlantes sur toutes les ailes et les chants, comme des sacs renversés du ciel, une pluie d’assassinat d’oiseaux. Terrifiant.

Le cerisier est noir. Sous le soleil, il fait une grande ombre sur l’herbe. Sortir et s’allonger dans l’ombre du cerisier dans l’herbe froide. C’est doux, avec l’os du soleil de février.

C’est agréable, les pieds dans la rosée. La sève montante percent le sol. Enter sleep mode, la dormance est repoussée aux franges. Le printemps secoue ses jupes et parfume son linge.

Les pas sur la terre boueuse sous l’herbe détrempée fait un bruit d’entrecuisse. Elle est odorante. Il y a l’éclat sur les feuilles du cerisier. La lumière de la fin d’hiver déplie ses rayons x sur un paysage neuf.

Le temps de l’ouverture des douves est venu dans sa marche insolente. L’oiseau musculeux, sa flûte sur la rive.
Elle irait bien vivre en couple avec une grive musicienne.

Les fantômes boivent de l’eau douce.

Elle entend le grondement de ses os, comme ceux arthrosés des bêtes égarées qui cherchent la forêt toujours reculée, sans jamais l’atteindre.

Dans une solitude ouvragée comme une robe en os, en dentelles d’ivoire : reptation d’un silence angoissé.

Juliette Fontaine, poèmes, 2016

Image : Dessin, Darwin’s doubts, technique mixte, 2016

Tu dis,

texte

Tu dis, une violence comme une taupe, souterraine, insidieuse. Pas une atteinte directe au corps, pas un assaut de l’extérieur. Non. C’est la douleur qui se fait ressentir comme un écho. une onde qui se propage à l’intérieur, qui prolifère de l’intérieur. C’est l’écho du coup qui est bien plus violent. Tu ne sais pas d’où vient cette douleur intérieure. tu ne sais pas quand tu as reçu le coup. Tu ne sais pas où tu as reçu le coup, à quel endroit du corps. Sans cause déterminée, sans contexte, sans paysage, sans réminiscence, sans main pour toucher. Elle reste là, se diffuse, s’oublie parfois, pour réapparaître comme la traîtrise d’un coup de lame inattendu, dans le dos. Comme l’ouverture brutale de la fenêtre de la chambre obscure sur la lumière aveuglante du monde.

Tu dis, comme un arrachement. à un moment donné quelque chose a manqué, ou a bifurqué, ou ne s’est pas modifié. quelque chose qui aurait pu advenir, et devenir, et qui s’est immobilisé dans l’absence. Tu dis, une prison intérieure, dans le corps, faite tienne comme un cinquième membre.

Tu dis, les yeux clos. tu dis, constance. Pourquoi pas absoudre les visions de l’extérieur. car le monde ne cesse de créer des prisons. Tu dis, crier la violence du monde. Tu dis, la bouche. Tu dis, métamorphose, de la mutité au cri.

Tu dis, être flou. Fouille de l’intérieur, et dépeuplement. Tu dis, disparaître dans le mouvement de la rotation. Tu dis, mutiler, se mutiler, mais dire non. Tu dis, être flou du visage, dans le mouvement de la négation. Tu dis, résister, être là, encore.

Tu dis, voeu de dilution. Se fondre dans la disparité du monde. Ou entrer en soi, pour y reposer. Tu dis, images du monde. Etre dehors. tu dis, images cérébrales, images des rêves. Etre dedans.

Tu dis, dans le silence. Intrusion des mots, invasion du langage. Tu dis, trop de signes, panier de crabes. Tu dis, désapprendre. Tu dis, libérer la sensation. Sur le visage, ce sont les mots imprimés, comme les traces d’un rêve, comme les bribes de la conscience, comme la formulation sourde d’une pensée. tu dis, mots, amoncellement d’os.

Tu dis, révérence à la nuit. Cette nuit, et toutes les autres. C’est aussi la dissimulation du visage, de l’identité derrière les mots. Visage dévoré par le langage, la précarité du sens. Tu dis, être vivant.

Tu dis, promesses de la main. Empreintes sur la matière du monde. Identité moins visible. Tu dis, la main ne tient rien, n’attrape que le vide, le vide de sens? Tu dis, comment saisir? Comment habiter un geste, et quel geste? Tu dis, le mot, tendineux. Tu dis, le geste, tendrement. (La teinte du doute.)

Tu dis, le problème, c’est l’attente. Tu es l’être inachevé dans l’attente. Tu dis, éviter de s’y blottir. C’est cette attente masquée, informelle, l’espace de quelque chose qui peut advenir. Rien n’est venu. Tu dis, la déception est toujours insuffisante. il faut alors les points de suspension. Une ouverture, un état de vacuité. Tu dis, s’engouffrer. Ou s’épuiser jusqu’à la mort.

Tu dis, écrire avec/sur ton corps. Ne plus, pour un instant au moins, rôder comme un animal sauvage, étranglé par l’inquiétude de quitter son territoire. Tu dis, trouer le mur. tu dis, arpenter au-delà des limites rassurantes. Tu demandes, dans l’ombre de la peur. Vas-tu y laisser la peau?  Et les os?  Et les organes?  Et l’esprit?  Tu dis, à n’importe quel prix, taire la soif.

Tu dis, les soubassements de l’être. Tu dis, les noyaux du corps. Et s’appuyer contre la charpente. Tu dis, être à l’affût. Le monde écrase des gens à l’appel, c’est terrible. Tu dis, déboisement(s). Porté par la faim et la solitude.

Tu dis, arracher, d’un seul coup d’un seul, des repères construits sur la lenteur du temps. Sans être dépeuplé, c’est ce qu’il faudrait. Tu dis, quelque chose qui perdure à la perte. Cette voix intérieure plaquée contre la vitre, à la vue du monde menacé. Tu dis, cette voix nue, résistante comme une pierre dans son lit de terreau. Sourde mais présente. Inaudible mais musicale.

Tu dis, chapeau bas à l’araignée travailleuse. Il faut se suffire parfois de très peu, d’un effleurement, à peine. D’un fil invisible de l’être vers le monde, du monde à l’être. Un lien  (lieu) si paisiblement ténu. Tu dis, terres intérieures désertées par le dehors. Menu tissage de sens.

Tu dis, sur le bord. Tu dis, à la crête. Tu dis, dans le seuil.

Tu dis, –